Chroniques

Par Christian Chabaud

Paru dans Cassandre N°96

« Hommage au Maître »

Alain Recoing est parti dans la nuit du 14 novembre 2013. Avec une carrière artistique exemplaire (65 ans), le « maître marionnettiste », fut un farouche militant de son art, combattant infatigable pour la reconnaissance des artistes et leurs responsabilités dans l’institution culturelle. Il a initié des dizaines de créations avec son équipe et sa compagne de vie et d’art Maryse Le Bris, formé des centaines d’artistes dans le monde, à l’école supérieure de Charleville, à l’université et dans son Théâtre aux Mains Nues (Paris XXe) transmis à son fils Éloi.

À gueuler avec la voix nasillarde et le sourire édenté de bois peint de Punch (2)

V’là vot’ pipe cassée ! Marionnettiste greffé d’une jambe de bois : z’êtiez prédisposé, vous ! Grâce à vous, les grandes surfaces culturelles ont fini par comprendre qu’on s’écrit avec deux N et deux T.

Respect M’sieur le Président. Z’avez passé vot’ vie rien qu’à donner une âme à des poupées qu’vot’ femme fabriquait tout en enfantant vos quatr’ fistons putain d’artistes. Vos derniers mots vivant : « Je ne verrai pas l’aube ».

Chapeau M’sieur : lucide courageux digne émouvant comme d’hab’ ! Z’avez vu beaucoup mieux : le plein-feux de la grand’ Éternité et tous là à vous z’applaudir; vot’ bon Maître Gaston Baty, vos poteaux Garrel Maurice, Vitez Antoine, Temporal Jean-Loup, Chenais Jacques, Lafaye Georges et Monestier Claude, Dougnac Paul, Joly Yves, Félix Jacques et les z’autres.

M’sieur le pourfendeur des baronnies-culturelles-abusives, tête de caboche agnostique, vous l’avez enfin vot’ réponse AT THE QUESTION : les marionnettes ont-elles une âme ? Hi-hi, l’oeil brillant vous chantonnez de vot’ p’tite voix de tête tranquille qu’on connaît bien. B’soir Maître. Et à jamais : Hénaurmes Mercis !


Christian Chabaud

Récemment, il a écrit un ouvrage magnifique, mémoire de son histoire et de la Marionnette sur plus d’un demi siècle (1), apothéose d’une vie artistique engagée. Il fut aussi le réhabiliteur d’un genre populaire : la marionnette à gaine (Punch et les autres).

(1) « Les mémoires improvisées d’un montreur de marionnettes »

(2) Marionnette populaire, cousine de Polichinelle et Guignol

Par Christian Chabaud

« LES MÉMOIRES IMPROVISÉES

D’UN MONTREUR DE MARIONNETTES »

de Alain Recoing

Coédition L’entretemps / Institut International de la Marionnette (2011)

Le XXe siècle a été marqué par la renaissance de la Marionnette, son insertion dans la création théâtrale et la décentralisation, une véritable création jeune public, de nouvelles esthétiques. Formé par Gaston Baty, ami d’Antoine Vitez, fondateur du Théâtre aux Mains Nues, le créateur marionnettiste Alain Recoing a exploré toutes les voies artistiques, sociales et politiques de son art qu’il a porté à bout de bras (!) jusqu’à son dernier souffle ( 14/11/2013).

Malgré la modestie élégante du qualificatif, ses Mémoires sont loin d’être « improvisées ». Par un travail acharné et précis, alors qu’il sentait la Camarde approchée, il s’est attelé au récit de sa vie infatigable. À côté des récits de créations et des questionnements qu’elles induisent, le maître marionnettiste convoque aussi un échange emblématique avec Robert Abirached (1) sur les relations constructives que nous eûmes, (j’en étais avec une poignée d’autres) avec l’État pour une véritable politique structurante des arts de la marionnette (festivals, institut International, école supérieure, théâtre(s) à Paris, implantation des compagnies, de lieux de diffusion confiés aux artistes). Ce combat est récurrent. À vif.

Novembre 2013. Le monde de la Marionnette vit deux événements emblématiques : l’ouverture de la salle permanente du théâtre de la marionnette à Paris, Le Mouffetard ; la disparition d’Alain Recoing. Rapprocher ces deux événements forme le paradigme d’une compréhension vive de l’histoire contemporaine, de l’état actuel des artistes, de leur implantation, des lieux de diffusion de la marionnette contemporaine.


Si, malgré la frilosité culturelle politico-économique ambiante, les thuriféraires de la Marionnette s’en emparaient, ce sont autant de sujets d’analyses, de débats et de thèses pour l’université (où A. R. fut le premier marionnettiste-enseignant) qui donneraient un souffle régénérateur à une politique renouvelée de la création et de la diffusion des arts de la marionnette autour d’artistes gestionnaires de leur art (et non au seul profit de distributeurs labellisés en réseau).


À ce titre, le livre-témoignage de Maître Recoing revêt une réelle force testamentaire. C’est le parfait bréviaire de celles et ceux qui vivent et questionnent activement l’engagement d’une vie d’art dans la cité.


Christian Chabaud

(1) Robert Abirached : écrivain, homme de théâtre, chercheur universitaire,

ex-directeur de la D.M.D.T.S. du Ministère de la Culture (de 1981 à 1988)

Par Christian Chabaud 

Paru dans Cassandre N°97

PAYSAGES INTÉRIEURS

de Philippe Genty

Actes Sud (2013)

« Il s’agit donc d’abord d’une histoire personnelle qui devient assez rapidement une histoire partagée... ». Voici le récit passionnant et passionné de l’émouvante et très instructive autobiographie d’un des plus grands marionnettistes contemporains, Philippe Genty. Entre théâtre, danse et marionnette, il parcourt son imaginaire tendre et loufoque comme il parcourt le monde sur les plus grandes scènes internationales, du Théâtre de la Ville à Avignon en passant par Broadway, Sydney et Hong-Kong.

Le grand commencement de la vie artistique de Philippe Genty fut, vers vingt ans, amorcé par une bourse qui lui permit de faire un premier tour du monde en 2 CV, avec pour tout bagage sa marionnette à fils, « Alexandre » et son intelligence d’Ulysse moderne teintée d’une merveilleuse lucidité ironique toujours active aujourd’hui.

« J’ai fait mes études supérieures dans une 2 CV sur des routes cabossées, j’ai eu des maîtres fabuleux, ils parlaient un idiome qui m’était familier, l’idiome de l’image. Mais leurs langues m’étaient pour la plupart inconnues, les mots m’ont toujours manqué en quelque sorte, même s’ils me manquent encore davantage aujourd’hui ».

« La boîte à outils »de création qui clôt l’ouvrage devrait être obligatoire au programme de toute école d’art dramatique et de marionnettes.


Christian Chabaud

L’artiste complet raconte les coulisses d’une vie artistique formidable qui commença terriblement cabossée vers l’âge de six ans quand on lui cacha la mort de son père. Il en porta longtemps une terrible culpabilité (encore un peu aujourd’hui, sourit-il) jusqu’à rester physiquement bloqué, un jour, dans la rue d’une ville de tournée, incapable de retrouver le théâtre où il jouait le soir-même : chaque fois qu’il marchait il était persuadé qu’ondémontait derrière lui les façades d’immeubles comme de simples décors. Puis il y eut cette « rafale de mitraillette » de calculs dans les reins, en 1981, qui l’empêchèrent de faire sa première à Broadway, alors qu’il avait l’âge de son père - 43 ans - tué par une chute de ski de... 300 mètres.

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